Le 20 octobre 2023, d’autres ambassadeur.ices, une facilitatrice et moi avons été convié.es à une sensibilisation pour y échanger des dispositifs à mettre en place pour rendre un événement plus accessible aux personnes en situation de handicap et âgées. Nous étions censés proposer des idées d’aménagement pour les personnes en situation de handicap sur le plan psychologique.
Malheureusement, nous avons surtout passé une grande partie des temps d’échange à faire de la pédagogie.
Faire comme si nous n’existions pas
Alors que nous commencions à prendre le stylo et la feuille pour noter des idées d’aménagements, une citoyenne qui représentait les personnes âgées a rejoint notre groupe. Elle posait de multiples questions par rapport à nous et à l’association. Lorsque nous lui avons révélé être des personnes neuroatypiques, son comportement a diamétralement changé. Elle ne s’adressait qu’uniquement à notre facilitatrice, et ne nous regardait plus. Elle se réjouissait même, auprès d’elle (comme si nous n’existions pas !) que nous ayons l’air “aussi normaux”, comme si c’était une victoire. Je me suis permise d’intervenir à ce moment, pour lui expliquer “qu’avoir l’air normal” demande beaucoup d’efforts, et que cela ne devrait pas être un idéal à atteindre : sortir de la norme n’est pas une honte, après tout !
De fil en aiguille, nous avons longuement expliqué qu’en quelque sorte, il n’y a pas une seule manière d’être neuroatypique, et qu’il n’y a pas toujours de “physique type”, et que régulièrement les fonctionnements neurodivergents ne sont pas perceptibles aux yeux des personnes qui ne sont pas renseignées sur le sujet de la neurodiversité.
Au moment de se quitter, elle s’est aussi permise de nous toucher, alors que nous avions expliqué durant notre intervention que le toucher pouvait être synonyme de malaise voire de douleur pour les personnes neuroatypiques.
A l’issue de cette intervention, moi et les autres ambassadeur.ices en mission avec moi à ce moment avions témoigné de notre déception, de notre colère à notre facilitatrice de s’être sentis ignoré.es, voire infantilisé.es par cette femme.
Une attitude malheureusement fréquente
La manière dont cette femme s’est comportée à notre égard est une des multiples manières dont l’infantilisation des personnes en situation de handicap peut se manifester.
L’infantilisation des personnes en situation de handicap est une des formes que peut prendre le validisme, c’est-à-dire l’oppression des personnes en situation de handicap en raison de leur handicap. L’infantilisation consiste à traiter un adulte comme un enfant. |
L’infantilisation, c’est par exemple changer le ton de sa voix et sa manière de parler lorsqu’on s’adresse à une personne en situation de handicap : monter sa voix de quelques octaves, bannir les gros mots, et abuser de surnoms affectueux alors que l’on ne connaît pas très bien la personne. L’infantilisation, ça peut aussi être cette personne qui communique uniquement avec la personne aidante et ignore la personne en situation de handicap, comme ce dont nous avons fait l’objet.
L’infantilisation, c’est aussi nier la capacité de la personne en situation de handicap à s’autodéterminer. C’est partir du principe que parce que la personne est en situation de handicap elle ne sera jamais capable de vivre seule, par exemple. C’est penser que les personnes en situation de handicap sont intrinsèquement incapables de consommer de l’alcool, ou d’apprendre Shakespeare.
Si je mentionne tous ces exemples, c’est parce qu’on les retrouve dans le brillant spot “Assume That I Can, So Maybe I Will”, réalisé par l’association CoorDown et qui témoigne des croyances que la société porte à l’égard des personnes avec un syndrome de Down, et comment elles contribuent à limiter l’autodétermination des personnes concernées.
Les conséquences sur les personnes concernées
Cette vidéo montre assez bien comment une personne en situation de handicap, ici une jeune femme avec un syndrome de Down, peut être amenée à se décourager et se brider à force de se voir martelée en permanence qu’elle ne peut pas faire telle ou telle chose.
L’autocensure est en effet un risque majeur. Je me demande moi-même si j’aurais cherché à poursuivre une carrière de journaliste si j’avais su plus tôt que j’étais autiste. J’aurais pu internaliser, comme tant d’autres personnes, que les personnes autistes ne sont pas faites pour ce domaine, et que je devrais plutôt travailler en informatique. J’ai déjà entendu des personnes autistes absorber ces généralisations, et arguer qu’elles ne peuvent pas faire telles choses car les personnes autistes, dans leur ensemble, ne peuvent pas faire cela. Il est certes important pour les personnes en situation de handicap d’avoir conscience de leurs limites personnelles et de les respecter. Cependant, nous ne devrions pas basculer dans l’essentialisation des personnes neuroatypiques et les traiter comme un monolithe.
De plus, partir du principe que certaines thématiques sont incompatibles avec le handicap, comme l’alcool ou la sexualité, conduit à l’exclusion des personnes en situation de handicap des discussions et des sensibilisations autour de ces thématiques. Une étude relayée par l’Association Francophone des Femmes Autistes a montré que presque 90% des femmes autistes ont déjà subi une agression sexuelle. Une explication avancée est le manque d’éducation sexuelle dont elles font l’objet, notamment sur des problématiques comme le consentement. Certaines personnes profitent aussi de l’absence de communication orale chez des femmes autistes pour outrepasser leur volonté en se disant notamment qu’elles ne pourront pas faire remonter l’agression. Ainsi, elles voient leur agentivité être niée.
Nous ne sommes pas si différents
Même si nos cerveaux fonctionnement pas tout à fait comme les vôtres, nous sommes malgré tout des adultes comme vous. Nous n’avons pas forcément toujours les mêmes envies que vous, et oui parfois nous pouvons aimer des choses perçues comme enfantines. Or, même entre personnes neurodivergentes, nous avons des rêves, ambitions et attentes diverses ! Aussi surprenant que cela puisse paraître, les personnes neuroatypiques ne sont pas toujours des êtres purs et innocents : certaines ont une vie sexuelle, d’autres jurent comme un charretier par exemple. Ne nous retirez pas notre droit à décider de notre vie, et ne nous ignorez pas lorsque nous sommes avec vous.
Isabelle ambassadrice de la neurodiversité