Je me prénomme Isabelle, j’ai 25 ans, et j’ai débuté un service civique au sein de Ludosens le 4 septembre 2023, en tant qu’ambassadrice de la neurodiversité. Cette mission me tient à cœur car je suis attachée au paradigme de la neurodiversité, dont l’objectif est de sortir du discours de la déficience, et de faire reconnaître ce qu’on qualifie de troubles comme des fonctionnements différents. Il ne s’agit pas pour autant de nier les handicaps des personnes concernées, mais plutôt de considérer qu’ils ne font pas de ces personnes des êtres inférieurs. « Différent.e, pas moindre », comme l’a affirmé la chercheuse en sciences animales Dr. Temple Grandin.
La neurodiversité me touche personnellement, car j’ai été diagnostiquée autiste l’an dernier. J’ai depuis toujours été en décalage avec les autres : mes parents, interloqués par mon absence de langage aux alentours de mes 3 ans, ont pris contact avec un CMPEA de mon département. J’ai suivi des thérapies de groupe et des séances d’orthophonie, sans jamais recevoir de diagnostic, malgré les suspicions de ma mère.
Dès la maternelle, j’ai fait l’objet d’ostracisation, aussi bien de la part de mes camarades de classe que des instituteur.ices. En raison de mon comportement, on m’a jugée incapable de poursuivre au CP en milieu ordinaire, et on a préconisé à mes parents de m’inscrire en CLIS. Enfin, « préconisé », c’est un euphémisme : lorsque ma mère a demandé au personnel enseignant de me laisser une chance en milieu ordinaire, ce dernier lui a fait comprendre que cela faisait d’elle une mauvaise mère. Malgré leurs protestations, j’ai intégré le milieu ordinaire, dans lequel j’ai pu m’épanouir intellectuellement : je prenais beaucoup de plaisir à acquérir et accumuler des connaissances. Ma différence se faisait toutefois ressentir : j’ai continué à subir des moqueries et du rejet, que j’ai très mal vécu. Même son de cloche au collège. J’ai fini par intégrer l’idée que quelque chose n’allait pas avec moi, que je ne suis pas vraiment humaine. Je me sentais comme une extraterrestre qui s’est égarée sur Terre
Par conséquent, j’ai commencé à lire des articles et des ouvrages de psychologie, afin de mieux comprendre les personnes qui m’entourent. Je les regardais faire, et les imitais afin de me fondre parmi elles. A la suite d’un incident au cours duquel un garçon m’a « traitée » d’autiste, je me suis amenée à me renseigner sur le sujet. Je ne me reconnaissais cependant qu’assez peu dans ces articles nous dépeignant comme des génies asociaux, plus particulièrement en mathématique : je brillais davantage dans les matières littéraires, et j’ai malgré tout réussi à me faire des ami.es. Au lycée, j’avais enfin réussi à paraître à peu près « normale ». Mais je sentais mon état psychologique se détériorer, au point de faire un burn-out en classe préparatoire.
Il m’a fallu beaucoup de temps, ainsi que créer des liens avec d’autres personnes comme moi, pour comprendre que le problème n’était pas moi, que je n’avais pas besoin de me forcer à être quelqu’un d’autre. En découvrant mon autisme, je me suis autorisée à être moi, enfin ! Pour autant, je n’ai pas encore totalement fait tomber le masque, car l’autisme est encore mal vu dans une société validiste*. Mon regard atypique, qui ne croise que peu les yeux de mon interlocuteur, mon langage corporel, mes particularités de communication et sensorielles : ce sont autant d’éléments qui m’incriminent auprès des personnes neurotypiques. Nous ne devrions pas avoir besoin de prétendre être quelqu’un d’autre pour trouver un emploi, un logement, une formation. Nous ne devrions pas avoir à nous battre pour accéder à des aménagements et voir nos droits être respectés.
Au sein de Ludosens, j’effectuerai des présentations pour des publics divers, comme des écoles, des entreprises, et des associations pour les informer sur la neurodiversité, et militer pour le respect des besoins des personnes neurodivergentes. Je ne sais pas encore si ma contribution sera significative, mais je veux quand même aider.
*Validisme : “Système faisant des personnes valides la norme sociale”, “Discrimination envers les personnes en situation de handicap” (Le Robert)