« On a tous le droit à la vulnérabilité tant que c’est pas dans ma cour »
Quand on est en France, il n’est pas rare d’entendre des familles faire les louanges du Québec en matière d’accompagnement et de prise en charge des enfants à besoins éducatifs particuliers.
« Ah le Quebec ! ils sont tellement en avance ! »
A l’occasion de ces 10 jours passés à Montréal, je rencontre différentes structures, différents professionnels (entreprise adaptée, foyer occupationnel, association comme la Tournée éducative ou Autisme Montérégie…) et ce qui m’intéresse tout particulièrement ce sont les représentations sociales de chacun sur les sujets qui nous occupent…
Alors, qu’en est-il de cette vision idéale ? Qu’en est-il réellement ?
Quand je cherche à comprendre, ce qui distingue l’approche du handicap en France et au Québec, ce que j’en retiens déjà, c’est une profonde différence culturelle. Ici au Québec, me dit-on en premier lieu, « tout le monde a le droit à la vulnérabilité« . Et on ajoute « tout le monde connaîtra un jour dans sa vie une problématique de santé mentale ».
Incroyable et formidable discours !
Au Québec, il y a ce regard bienveillant et définitivement plus léger face aux différences.
Les fondements de perceptions différentes face à la vulnérabilité sont à la fois culturels et historiques : la diversité culturelle est au coeur du Québec, terre d’immigration, tous les êtres sont différents et cette singularité est revendiquée comme une force, comme un droit fondamental.
Il y a également la culture du renforcement positif profondément ancrée au Québec : quelque soit le résultat, l’action effectué par l’enfant, l’individu, « tout est formidable » et il y a cet enthousiasme à chaque détour de phrase dans chaque interaction sociale et qui fait du bien !
Mais surtout, au Québec, vous n’êtes pas enfermés à vie dans l’étiquette handicap. Car, ce qui est reconnu c’est une difficulté à un moment donné dans uns situation spécifique : dans l’accès au logement, dans l’accès à la scolarité, dans l’accès au travail…Le handicap est considéré uniquement en relation avec une situation.
Le handicap est donc perçu comme temporaire. Ce n’est pas un statut à vie.
Les difficultés à un temps T, peuvent se gommer, peuvent évoluer. Et c’est pourquoi la situation de handicap est réévaluée fréquemment au Québec.
C’est là, à mon sens, le fondement de la différence de perception.
A l’école, il y a des ressources autour de l’enfant à besoins éducatifs particuliers, mais l’évaluation de la situation de handicap ne vaut que pour l’école où est inscrit l’enfant. Les ressources sont affectées à l’école et les intervenants autour de l’enfant (orthophoniste, ergothérapeute…) dépendent de l’école…
L’enfant n’est pas estampillé handicapé dans toutes les structures qu’il sera amené à côtoyer.
Il y a également une différence importante que nous avons pu sentir : Au Québec, l’aspect communautaire est omniprésent. Les familles demandent de l’aide et elles en reçoivent. Elles sont donc moins isolées qu’en France, c’est une évidence.
Cette différence entre nos deux territoires ce n’est pas rien…
La réalité est qu’il y a en France de véritables situations traumatisantes. Des situations douloureuses qui ne résultent pas des difficultés de la personne elle-même mais du regard de l’environnement : le regard des personnes travaillant dans les écoles, le regard d’intervenants extérieurs…
Ces situations traumatisantes engendrent des stress qui se surajoutent aux difficultés identifiées à la base.
Notre pays, la France, a été profondément façonné par l’approche psychanalytique d’une part et l’approche psychiatrique d’autre part.
La psychanalyse a amené ce rapport dominant/dominé sous couvert de soins : cette analyse a déshumanisé la relation, avec cette observation froide et cette mise à distance caractéristique entre l’observateur et l’observé. La psychiatrie a présenté le soin uniquement sous le prisme de la médication.
Tout cela, nous le savons. Il est important que le changement de représentations opère….
Pour autant, est ce que cette vision du Québec comme l’eldorado est fondée ? Non à priori.
Déjà parce que les démarches administratives sont lourdes. Plus lourdes qu’en France ? En tout cas, au moins toutes aussi lourdes.
Au Québec, il n’y a pas d’AAH ou AAEH, les familles fonctionnent davantage avec le crédit d’impôts.
Il y a des aides bien sûr pour compenser le handicap dans une situation donnée, mais c’est une démarche par thématique donc à renouveler fréquemment : une démarche administrative pour l’accès au logement, une démarche administrative pour l’accès au travail etc.
La situation est toujours à ré-évaluer.
A l’école, si les droits sont clairement reconnus et si les ressources sont clairement affectées aux écoles (le Québec est dans une situation de budget excédentaire !), il y a beaucoup d’enfants à besoins éducatifs particuliers dans les classes régulières et cela amène des défis pour la communauté éducative, tout comme en France.
Il faut dire aussi qu’au Québec, il y a 1 enfant sur 57 diagnostiqué avec TSA contre 1 sur 100 en France. Et si la sensibilisation a été faite pour expliquer l’autisme chez les enfants, elle reste encore à faire pour que le regard reste tolérant vis à vis de l’autisme à l’âge adulte.
Un adulte ne peut pas avoir de fortes réactions émotionnelles.
« On a tous le droit à la vulnérabilité tant que c’est pas dans ma cour » ajoute une professionnelle d’une association agissant pour la cause de l’autisme en Montérégie. L’autisme reste dérangeant, difficile à comprendre pour bien des gens.
Il reste encore bien du travail notamment pour l’accès à l’emploi.
Voilà ce que nous avons pu toucher du doigt en dix jours de tournée Montréalaise ! Merci aux partenaires pour leur accueil !