Interview Régine Coulon, Responsable de la ludothèque « les lucioles » du centre Alfred Peyrlongue – à Ambarrès (33)
Ludosens : Dites-nous quelques mots sur le Centre Peyrelongue.
Régine Coulon : Le CSES Alfred Peyrelongue (Centre de Soins et d’Education Spécialisée) accompagne 195 jeunes (0-20 ans) déficients visuels présentant une malvoyance ou une cécité avec ou sans troubles associés, en internat, semi-internat ou externat. Les services assurent un accompagnement individualisé pluridisciplinaire aux niveaux éducatif, pédagogique, social, médical, paramédical, et psychologique. Seul établissement en Aquitaine à accueillir des jeunes déficients visuels de 0 à 20 ans, le CSES Alfred Peyrelongue, a un rôle de conseil et de soutien auprès des familles. Il s’emploie au quotidien à favoriser l’éveil et le développement harmonieux des plus petits jusqu’à l’épanouissement, l’éducation et l’accompagnement professionnel des plus grands.
Ludosens : Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?
Régine Coulon : Je ne suis pas ludothécaire de formation, j’ai une formation de documentaliste. La ludothèque a été créée il y a deux ans. Elle est affiliée à l’Association des Ludothèques Françaises. J’ai fait partie d’une équipe pluridisciplinaire et j’ai été nommée Responsable de la ludothèque. C’était d’autant plus évident que l’espace ludique se situe à côté du CDI dont je m’occupe encore aujourd’hui. Je possède 19 ans d’expérience dans le domaine de la déficience visuelle, j’ai effectué beaucoup d’ateliers avec les jeunes, des sensibilisations au handicap avec des partenaires extérieurs (collèges, ludothèques, mairie de Bordeaux..). et j’ai également participé à la mise en place la Charte Handicap avec la Ville de Bordeaux.
Ludosens : Pourquoi avoir créé la ludothèque ?
Régine Coulon : Le besoin a été identifié en interne par les professionnels. Le jeu était partout et nulle part à la fois, nous avions besoin d’un lieu ressource. Nous avons pensé que grâce à ce lieu, un lieu non dédié aux aspects médico-sociaux, nous pourrions conseiller les familles qui ne savent pas comment jouer avec leurs enfants. Le but final de la ludothèque est bien la socialisation, que les jeunes ne s’y enferment pas mais qu’ils puissent s’inscrire dans une ludothèque proche de chez eux.
Ludosens : Quelle est la vocation de la ludothèque ?
Régine Coulon : Les familles sont encouragées à venir, mais il est difficile de les mobiliser car le centre est associé aux bilans, aux rendez-vous médicaux. Mais notre communication s’est améliorée et de plus en plus de familles sont accueillies. Les enfants en interne (ni scolarisés ni en intégration), viennent régulièrement pour jouer librement et cela fait partie de leur emploi du temps. Le plaisir est le moteur. Ils ne viennent pas seuls, ils sont accompagnés d’éducateurs spécialisés.
On note généralement trois phases dans l’attitude du jeune qui vient à la ludothèque : une phase d’observation, une phase de jeu tout seul, et enfin une phase de jeu à plusieurs.
Ludosens : Quelles solutions ludiques proposez-vous ? Pour quelle tranche d’âge ?
Régine Coulon : Notre ludothèque repose sur le même principe qu’une ludothèque en milieu ordinaire (classification ESAR) :
– Les jeux d’exercices (éveil petite enfance)
– Les jeux symboliques
– Les jeux d’assemblages
– Les jeux de règles
Nous avons des jeux que l’on peut trouver dans le commerce, mais aussi des jeux adaptés à la déficience visuelle. Nous avons été sponsorisés par Nathan. La tendance des fabricants de jeux actuels est d’aller vers du sensoriel, car la stimulation sensorielle est la meilleure entrée pour les enfants.
Nous avons fait le choix de jeux avec un fort contraste, ergonomiques c’est-à-dire grand format et qui facilite la préhension.
Nous avons choisi des meubles en hêtre clair, pour que les enfants puissent bien percevoir le jeu, qui est le plus souvent très coloré.
Ludosens : Donnez-nous des exemples de jeux qui marchent ?
Régine Coulon : Ce qui marche bien pour les enfants jusque l’âge de 12 ans, ce sont les puzzles tactiles, les coussins tactiles fabriqués dans différentes textures, mais aussi les mémory tactiles.
Ils aiment notamment un jeu nommé « Ruff house » : dans une niche, plusieurs os de différentes textures et l’enfant doit retrouver les paires. Un autre exemple : dans une grosse boîte en bois, je place des paires sur des thèmes en fonction de la période de l’année. Sur le thème de Noël les enfants devront associer des paires de petits rennes, d’ étoiles … de textures différentes. Dans le cas des mémory tactiles, la compétence travaillée au niveau cognitif est la compétence « association » avec l’entrée tactile et non visuelle. Ce type de jeux permet aussi de développer le toucher et la discrimination fine. Mais tout ceci se fera en dehors de toute récupération thérapeutique nous sommes vraiment dans le jeu libre.
Les jeux comportant des aimants sont appréciés car cela évite que les pièces tombent ou s’éparpillent.
Nous avons également créé un atelier-découverte de jeux pour les enfants de plus de 12 ans, avec un focus sur les jeux de société (mille borne, ouno…). Afin d’adapter un jeu, il est préférable de les tester avec les jeunes. En se basant sur l’expérience et les retours, il est plus facile de comprendre ce qui marche et ce qui est un obstacle.
En règle générale, la mise en jeu doit être rapide, simple et avec peu d’éléments (surtout dans les jeux de plateaux).
Ludosens : Quelles autres solutions développez-vous ?
Régine Coulon : Nathalie La Ménardie, Présidente des jeunes de Peyrlongue a adapté de nombreux jeux, car sa propre fille était au centre. Elle a participé activement à la création de la ludothèque. Il faut savoir que de nombreux jeux classiques en bois peuvent se recycler, par exemple un tableau à double entrée pour développer le sens logique et l’association d’idées, peut s’adapter à la déficience visuelle, en remplaçant les dessins par des éléments texturés à sentir sous les doigts.
Nathalie La Ménardie a notamment fabriqué des mémory sonores. En effet, les mémory sonores en bois avec poignées sont chers. A l’aide d’anciennes boîtes de pellicules photos et différents types de matériaux : graines, sables etc., elle a reproduit le concept du mémory sonore : L’enfant doit secouer les boîtes et les associer pour retrouver les paires. Sous les boîtes, une gommette de couleur permet d’avoir un repère visuel.
Pour un enfant qui voit les couleurs, nous avons également fabriqué, un mémory tactile et visuel : des sujets en feutrine sont collés sur des cartes.
Nous avons également fabriqué le premier jeu de bataille tactile adapté (il n’existe pas dans le commerce). Ce jeu de bataille est sans chiffre et l’ordre de grandeur est représenté par la taille des sujets (petits, grands).
Ce jeu de bataille est adapté d’un jeu de cartes classique sur lequel on a collé du papier autocollant. Un coin supérieur a été coupé pour connaître le sens de la carte : c’est une norme dans le champ de la déficience visuelle.
Un autre exemple de jeu adapté : le jeu des sardines tactile. Nous avons élaboré les sardines avec des textures différentes (nappe bulgum, liège, papier de verre…), et ainsi les sardines apparaissent en relief. Dans la conception, cela demande du temps et de la minutie mais cela fonctionne bien auprès des enfants.