Mode alternative et neuro-atypie : quand l’expression s’habille.
Des foules de t-shirts trônent dans les magasins, suivies d’un régiment de jeans. Dans un défilé de textiles colorés, des mains se faufilent, trient, trifouillent, se servent et repartent sans remords. Un univers où l’expression est mise de côté au profit de la facilité, des modes, ou encore du paraître.
Dans ce festival de tissu, l’expression de soi est souvent délaissée.
L’expression de soi peut servir de clef de libération pour les personnes neuro-atypiques : quand intérêt spécifique déborde du cerveau, les faire sortir de leur enveloppe psychique permet un véritable sentiment de liberté. Avant de montrer à autrui, on montre à soi-même notre propre appartenance à cette chose qui nous est chère. C’est ainsi que des habits semblant farfelus au regard d’autrui peuvent être immense source de bonheur car référence à œuvre ou concept aimé.
La sphère gothique, d’un noir multicolore
Microcosme musical et esthétique, la mode gothique est un bon exemple de l’application de l’expression vestimentaire. Depuis la fin des années 70, cette mode intrigue les regards extérieurs par ses attraits noirs et ses aspects inspirés de la musique, de la littérature, d’autres modes alternatives également, le gothique étant d’abord dérivé du punk avant de prendre son indépendance. Des chokers venus par la mode punk, des dentelles noires par la mode victorienne, tant d’influences qui parsèment cette manière de s’habiller. Inspiré par la musique et l’esthétique de ceux qui la pratiquent, ce mouvement laisse place à plusieurs sous-genre correspondant à l’évolution de l’ère musicale : ainsi le classique gothique reste aux racines, tandis que la variante cyber-gothique, par exemple, va avec un style de musique plus électro, renversement de la techno plus populaire chez les masses. La mode gothique, se distinguant par sa popularité dans des cercles restreints, et par son univers touchant plusieurs domaines artistiques, est aussi très appréciée de certaines personnes neuro-atypiques. Demandant aussi bien du diy (do it yourself, du fait-main) que des vêtements de marque, le choix des matières est plus simple car souvent indiqué, permettant plus de confort aux hypersensibles. Concernant les couleurs, l’absence de flashy permet de ne pas provoquer de surcharge chez les synesthésiques, ceux et celles qui attribuent des sens aux couleurs. Enfin, le simple intérêt envers la culture gothique peut expliquer le fort attrait des personnes neuro-atypiques à cette mode vestimentaire : Une culture très lyrique où les choses sont exprimées, les sentiments ne sont pas faussés, une culture à part qui permet une véritable expression de soi, une culture musicale loin de celle de la pop de tous les jours. Quand les sous-entendus peuvent entraîner de véritables difficultés, des textes explicites sont les bienvenus. Les messages véhiculés d’ailleurs, d’étrangers dans un monde qu’ils ne comprennent guère, peuvent faire écho aux expériences de personnes neuro-atypiques. La façade ténébreuse du mouvement gothique fait ainsi bien des adeptes, le corps, façonné par le noir, devient un tableau, une œuvre d’art, sous les choix des plus perfectionniste. Cette recherche d’un esthétisme plaît particulièrement aux plus ordonnés et organisés, neuro-atypique ou non. Enfin, le gothique et ses sous-genres permettent une véritable exposition des goûts de l’individu qui les porte, permettant de révéler au monde une facette de sa personnalité, de son sens de l’esthétisme, de qui il est. Quand le monde contemporain prône une uniformisation face à des tendances imposées, dévoiler ses goûts et briser la barrière peut faire un bien énorme.
Le lolita, le bien-être sous les froufrous.
Dans un tout autre registre, la mode lolita se distingue par des jupons et des froufrous, des mary janes aux pieds et des robes bouffantes. Attention cependant, malgré son nom, cette mode n’a rien à voir avec l’ouvrage ! Dérivée de la mode victorienne, possédant plusieurs branches allant du mignon au gothique, cette manière de s’habiller ne laisse certainement pas indifférent. Semblable à des princesses, ou princes, les adeptes préfèrent des véritables vêtements de qualité à de vulgaires costumes. Des marques comme Angelic Pretty, Baby the stars shine bright ou Atelier Pierrot sont sollicitées, toutes onéreuses mais d’une qualité la plupart du temps exemplaire. Popularisée au Japon dans le quartier de Harajuku, la mode se voit d’abord comme une rébellion face aux exigences de la société japonaise quant au corps féminin : de la peau de plus en plus révélée, une femme voulant d’abord plaire aux hommes. Au contraire de cela, la mode lolita se veut couvrantes : épaules sous les manches d’une blouse, jambes sous un collant ou des OTK, des chaussettes arrivant jusqu’au genoux. L’aspect mignon du lolita sert également d’échappatoire à une société que certains voient comme pourrie : le mignon au japon, souvent appelé « kawaii », possède cette vertu anesthésiante face à un quotidien de plus en plus lourd, et touche tous les domaines. Porter du lolita, c’est renoncer à une norme sociétale imposée et faire face à un monde de plus en plus menaçant, trouvant ses forces dans un mouvement vestimentaire qui, il faut le dire, réussit : le lolita a plus de trente ans.
Mais pourquoi cette mode attire donc les personnes neuro-atypiques ? Tout d’abord, il y a cet écart de la norme posée, concept qui peut beaucoup plaire à des personnes malheureusement souvent rejetées. De plus, l’aspect mignon peut rejoindre certains intérêts des personnes neuro-atypiques, aspect peu représenté dans la culture occidentale si l’on parle des lolitas de l’ouest, les motifs présents dans le sweet lolita (branche se concentrant sur l’aspect « kawaii ») peuvent également coïncider avec des intérêts également. On note aussi que le lolita en lui-même peut également être un intérêt spécifique : il touche à de nombreux registres, possède des règles souvent fixes, et est un véritable terrier de lapin concernant son histoire et ses influences. Ses personnalités, la variété de ses robes, voire sa simple esthétique en font un sujet rapidement passionnant pour celui ou celle qui oserait s’y intéresser.
L’aspect synesthésique du lolita peut également être noté, il se décline en couleurs qui peuvent entraîner des conséquences agréables sur les sens. Enfin, l’expression de soi en elle-même est un pilier du lolita. Chaque « coord » (tenue) peut avoir son sens si on y met du sien, en plus de mettre à profit un certain sens de l’organisation. Savoir qui l’on est, l’exprimer, c’est une accroche pour beaucoup de neuro-atypique dans cette société où la confiance en soi est si dure à trouver. Pour les plus introvertis, cela peut aider à se situer. Pour les extravertis, cela peut être un plaisir de provoquer sourire et surprise à autrui.
Ainsi, grâce à ces deux exemples, se dévoile un aperçu des bienfaits des modes alternatives pour les personnes neuro-atypiques, et l’expression de soi. Loin des t-shirts blancs et des jeans bleus unis, motifs, formes, accessoires et couleurs inhabituels permettent de créer une sorte d’œuvre éphémère, naissant de cerveaux divers que l’on ne penserait habituellement pas à consulter. Ne craignons pas d’exprimer qui l’on est par ce que l’on porte ! Peut-être est-ce un pas vers de nouvelles rencontres.
Sources : Sondage Reddit, Lolita : Dreaming, despairing, defying par Terasa Younker, Dark Grey Matter: Neurodivergence and the Goth Experience par Kuiperoid
Chloé Ravoninjatovo