Dans la mer de la sociabilité, les vagues sont houleuses, agitées par des interactions comprises par la majorité des navigateurs. Guidés par la boussole présente dans leur cervelle, ils voguent sur les flots d’une certaine maîtrise, certes différente selon les individus, mais toujours acquise. Cependant, un groupe de capitaine reste en marge : leur boussole fonctionne différemment. Les îles des visages, les rochers des contacts visuels, les tourbillons du tact, ils peinent à les appréhender, tous à un certain degré.
Le nom de leur équipage ? Les personnes neuroatypiques
Parmi elles plusieurs catégories, dont les autistes et les TDAH. Un vent de stress souffle facilement sur eux, affectant les voiles de leur confiance en soi, réussissant même à retourner leur boussole. Pour les aider ? Leur navire. Construit du même bois que leur boussole, il porte le nom d’intérêt spécifique, ou pour d’autres d’hyperfixation.
Les intérêts spécifiques des personnes avec autisme sont des « passions » extrêmement poussées sur un sujet ou un objet en particulier : métros, trains, timbres, chats, chevaux, guerres… Ils se reconnaissent par leur forte intensité constante sur la longueur et la connaissance pointue des sujets qu’ils apportent. Leur existence constitue un refuge et une joie pour les personnes concernées : s’en occuper procure une sorte de feu d’artifice de bonheur, le temps devient invisible. Ces sujets diffèrent parfois de l’habitude de la plupart des gens par ce qu’il traite ou la manière dont ils sont exécutés : s’intéresser aux piles est vu comme atypique par la société, une fille qui a comme intérêt spécifique des poupées pourra simplement les exposer au lieu de jouer avec.
De par leur maîtrise, les intérêts spécifiques permettent aux personnes les possédant de booster leur confiance en soi, souvent assez basse, ainsi que d’aider à se construire une identité propre, chose difficile. Le pic de bonheur provoqué par un intérêt spécifique aide également les personnes avec autisme à se relaxer en période de stress, le temps consacré à l’intérêt augmentant lors desdites périodes.
Les hyperfocalisations
Les hyperfocalisations, quant à elles, sont des périodes de concentration intense sur une période plus réduite, et, bien qu’elles concernent en majorité les personnes TDA et TDAH (trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité), elles peuvent se retrouver chez d’autres profils de personnes neuroatypique. Elles constituent en des temps d’hyperfocus, de curiosité importante pour le sujet qu’elles traitent, mais aussi d’un fort bonheur quand la personne atteinte s’y adonne. Tout comme leur cousin intérêt spécifique, elles peuvent traiter de sujets divers et variés, toujours avec une forte intensité. Les hyperfocalisations, contrairement aux intérêts spécifiques qui sont le plus souvent constants et peuvent être uniques, interviennent par période : une fixation apparaît, elle disparaît après un certain temps, puis une autre prend sa place. Elles sont le fruit de l’hyperactivité cérébrale.
Ces navires obsessifs peuvent cependant facilement couler s’ils ne sont pas régulés. Véritables phare dans la vie des personnes neuroatypiques, leur lumière peut devenir trop intense, et complètement obnubiler les personnes concernées.
Les intérêts spécifiques
Les intérêts spécifiques, malgré la stabilité qu’ils apportent, se montrent parfois trop envahissants : la personne ne pensera qu’à eux, ne fera qu’eux, ne parlera que d’eux, ce qui peut rendre difficile les interactions sociales au lieu de les encourager, également amener à délaisser d’autres besoins, ceux-ci se révélant parfois vitaux. Parfois, la nature du sujet de l’intérêt spécifique peut causer un danger, aussi bien social que matériel : intérêt pour les armes, les guerres… A force de trop en parler, la personne pourra être mal vue, voir fichée.
Cette aspiration obsessionnelle concerne aussi les hyperfixations. En plus de ces répercussions, la focalisation peut également avoir un aspect financier non négligeable : on se fixe sur des objets d’un certain prix, on se les procure, l’hyperfocalisation passe, certains parlent de taxe du TDA. Bien que les intérêts spécifiques peuvent aussi avoir leur marque sur les factures, en particulier quand ils concernent des collections, leur valeur constante pousse à une certaine régulation, contrairement aux hyperfocalisations. Néanmoins, si l’impulsivité, notamment d’achat, est un trait souvent appliqué aux personnes TDA et TDAH, il n’est pas exclusif et des personnes avec autisme peuvent également le subir.
Ainsi, pour éviter le naufrage, il faut être méthodique et maîtriser le gouvernail de l’obsession.
Mais quelles sont donc les manœuvres à connaître ?
Il est préférable de limiter le temps accordé à l’intérêt spécifique ou à l’hyperfixation. Bien que plus difficile pour cette dernière car elle occupe tout l’esprit avec sa notion d’hyperfocus, des temps peuvent être aménagés afin de s’y plonger totalement, tandis que d’autres seront dédiés au travail, à l’alimentation, à la sociabilisation. Afin d’y parvenir, la création de planning peut parfois être nécessaire, source d’encadrement que l’on peut suivre sans difficulté.
Une autre chose à effectuer est de sensibiliser l’entourage de la personne à son intérêt et à la nature de ce dernier : la communication n’en sera que plus facile, la sociabilisation également. Quant à la régulation, il sera plus simple de contrôler l’intensité de l’intérêt si celui-ci est reconnu.
Parés à naviguer, les capitaines mettent le cap.
Où pourront-ils aller, leur monture de bois assurée ?
Les intérêts spécifiques et hyperfocalisations peuvent également servir d’outils afin de faciliter l’apprentissage : à la fois comme récompense et médium. Apprendre à écrire les noms de ce que l’on aime, compter les éléments de sa collection, être récompensé par quelque chose en lien avec son intérêt, tant de motivations que les spécialistes ont su mettre à profit dans l’éducation d’enfants. Concernant les adultes, attention de ne pas travailler dans le domaine des intérêts spécifiques ou de l’hyperfocalisation du moment ! L’obsession mêlée au travail ne fait pas bon ménage et risque de virer au burn out. Cependant, savoir que l’on pourra se plonger dans son intérêt grâce à son salaire constitue une bonne motivation.
C’est ainsi que voguent sur les mers du monde des matelots déterminés, bien accrochés à leur coque de bois précieux. Leur périple n’est ni meilleur ni pire que celui de leurs voisins, mais il leur est unique. Bon vent, voyageurs !
Chloé Ravoninjatovo