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Anne-Sophie Putois : Un cabinet de gestion mentale

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Anne-Sophie Putois a créé un cabinet de gestion mentale à Pessac. Découvrons de quoi il s’agit au travers de quelques questions…

Ludosens : Pouvez-vous nous résumer en quoi consiste la « gestion mentale » ?

Anne-Sophie Putois : J’aide les enfants Ă  dĂ©terminer leur profil d’apprentissage, leur projet de sens, Ă  comprendre comment ils se mettent en situation d’attention sachant que tous sont diffĂ©rents.

La théorie de la Gestion Mentale, reconnue par l’Education Nationale, est née dans les années 1980, à partir de dialogues pédagogiques élaborés avec des élèves en réussite scolaire. Créée par Antoine de La Garanderie, philosophe et pédagogue, cette théorie repose sur l’étude des gestes mentaux d’apprentissage. Il a mis en évidence les motifs de réussite, ainsi que les 5 gestes mentaux qui interviennent dans les situations d’apprentissage. L’attention, la mémorisation, la réflexion, la compréhension et l’imagination créative sont les 5 gestes, les 5 mécanismes de la pensée que nous effectuons inconsciemment face à certaines tâches.

Je suis dans une philosophie de dialogue avec l’enfant qui apprend à savoir être attentif, à mémoriser, à imaginer pour faire face à une tâche scolaire. Car tout cela n’est pas résolu pendant la scolarité.

Ludosens: A qui s’adresse-t- elle ?

Anne-Sophie Putois : En cabinet, je reçois des enfants porteurs de troubles de l’apprentissage (beaucoup de jeunes dyspraxiques) ou des enfants qui veulent simplement se connaître et être acteur de leur développement. En dehors du public de mon cabinet, la gestion mentale s’adresse à tous ! Bien sûr, c’est recommandé pour les enfants, notamment en difficulté, mais c’est également utile pour toute personne en reconversion quelle que soit sa tranche d’âge, pour des seniors qui veulent conserver leurs connaissances et leur mémoire, etc… La gestion mentale devient cependant compliquée à mettre en place s’il y a des difficultés de contact, car on a besoin d’être dans le dialogue pour avancer.

Ludosens: Comment cela se traduit-il en pratique ?

Anne-Sophie Putois : En sĂ©ance individuelle avec l’enfant, mon but est de faire se rĂ©vĂ©ler les points forts, de faire en sorte qu’ils soient bien utilisĂ©s, et plus gĂ©nĂ©ralement de dĂ©velopper le potentiel de l’enfant afin qu’ils puissent faire ce qu’il souhaite. Je fais ensuite un bilan et une remĂ©diation en cabinet avec les parents.

Plus prĂ©cisĂ©ment, j’utilise des jeux de mĂ©moire qui permettent une rĂ©utilisation des connaissances dans le futur en invitant l’enfant Ă  se souvenir, Ă  ĂŞtre dans le questionnement (ce qui n’est pas le cas du memory par exemple pour lequel on ne se trouve pas dans ce type de travail mental). Des outils pĂ©dagogiques existent mais il faut aussi en crĂ©er ou en adapter. Il faut que l’enfant arrive Ă  comprendre dans l’émotion de l’instant mais il faut aussi qu’il projette ce qu’il vient de comprendre dans le futur sans quoi il risque d’oublier. L’enfant doit savoir comment il va transfĂ©rer ces donnĂ©es apprises, ce qui doit passer par un questionnement.

Par exemple, si l’on travaille sur comment garder une information visuelle, l’enfant peut durant le jeu y parvenir sans difficultĂ© mais ne pas savoir le refaire pour une carte de gĂ©ographie. Donc par le dialogue pĂ©dagogique, il faut l’aider Ă  transfĂ©rer de sa pratique du jeu Ă  l’application dans ses apprentissages scolaires, faire un lien de similitude entre ce qu’il a vĂ©cu et comment il pourra l’exploiter dans un autre domaine.

Pour comprendre une information entendue, certains enfants évoqueront en premier lieu, en images visuelles, d’autres réentendront la voix de l’interlocuteur, ou se reparleront et enfin certains enfants ressentiront du mouvement, des sensations. Chacun effectuera plusieurs étapes de traitement mental selon la complexité afin d’aboutir au sens.

Pour certains enfants « dys »qui évoquent seulement en images visuelles, tout arrive en même temps sur une seule image visuelle mentale. Il leur est souvent difficile de retranscrire l’information linéairement à l’oral ou par écrit même s’ils en ont le sens. On peut donc les guider à faire plusieurs images mentales visuelles, à les retranscrire en dessin sur une feuille, à pousser leur traitement par une verbalisation. Les dessins, posés sur le papier, les uns à coté des autres seront le support de leur pensée.

Ludosens: Il y a donc énormément d’outils exploitables ! Vous travaillez avec beaucoup d’outils ? Comment les choisissez-vous ?

Anne-Sophie Putois : Oui et non. Il existe de nombreux outils mais qui ne sont pas forcĂ©ment bien exploitĂ©s par rapport aux compĂ©tences que l’on suppose que ce jeu devrait dĂ©velopper. Par exemple, on peut se dire que le Jungle Speed devrait bien convenir Ă  un enfant visuel (puisque le jeu est de trouver le plus rapidement possible les correspondances entre les images) mais au contraire, l’enfant visuel a besoin d’une information qui n’est pas visuelle de façon Ă  pouvoir la transformer en quelque chose de visuel. Il faut Ă©viter de faire la confusion entre ce que je prĂ©sente Ă  l’enfant et ce qu’il traduit dans sa tĂŞte. L’enfant a besoin d’être acteur.

J’ai tendance à créer mes propres supports. J’utilise parfois des kaplas, des dessins… Je n’utilise pas les outils Montessori. Mais beaucoup de ce que je considère comme mes supports ne sont pas des outils tangibles : le mime, le geste…

J’utilise donc peu d’outils Ă  part la parole, l’entretien pĂ©dagogique et le dialogue avec l’enfant mais j’exploite quand mĂŞme certains jeux et supports (jeu et gestion mentale se marient plutĂ´t bien). Par exemple, pour le passage Ă  l’Ă©crit, j’utilise des cartes qui racontent des histoires, des jeux ou encore des odeurs (pour restituer par l’odorat). Utiliser les autres sens au moment de l’apprentissage aide Ă  s’imprĂ©gner de ce que l’on est en train d’essayer d’assimiler : Ă  tout âge, on associe nos Ă©motions et expĂ©riences Ă  des stimuli sensoriels.

Ludosens: Pensez-vous que les parents doivent être « pro-acteurs » dans l’accompagnement de leurs enfants ?

Anne-Sophie Putois : Je pense que oui. L’école ne peut pas tout faire pour nos enfants. Antoine de la Garanderie qui est sur le « connaĂ®tre l’autre » est de plus en plus validĂ© par les neurosciences. Sa philosophie est largement pratiquĂ©e au Canada et en Suède. Mais en France, comme on ne valide pas ce qui n’est pas « prouvĂ© », on a mis du temps Ă  prendre en compte son travail.

On peut assez facilement remédier aux problèmes de nombreux enfants avec un peu d’accompagnement scolaire et des méthodes alternatives ! Je conseille d’ailleurs aux parents le livre La pédagogie de la Garanderie.

Enfin, j’ajouterai que pour être motivé, il faut sentir que l’on progresse. L’école permet cela avec la notation mais ce n’est pas toujours suffisant. Quand on donne de l’énergie sans résultat, la motivation s’arrête. Il est important que les parents interviennent pour valider les avancées !

Ludosens: Comment vous êtes-vous formée à la gestion mentale ? Pourquoi vous êtes-vous lancée dans ce cabinet ?

Anne-Sophie Putois : Avant 2009, j’ai obtenu un bac+4 et j’ai exercĂ© le mĂ©tier d’ingĂ©nieur commercial informatique avant de rapidement me retrouver Ă  gĂ©rer un centre de formations durant 10 ans.

Puis ma fille est née. J’ai constaté chez elle des difficultés scolaires et des troubles de l’attention. Elle collait tous les mots, ne gardait rien en mémoire, n’arrivait pas à verbaliser…

J’ai fait le tour des orthophonistes, des neurologues… Et je n’ai trouvĂ© aucune solution. En CE1 et CE2, elle ne savait toujours pas lire. J’ai alors cherchĂ© par moi-mĂŞme des moyens de l’aider.

En 2000, très peu de monde connaissait la gestion mentale ! Je m’y suis intéressée et ai obtenu un diplôme en 2009. Mon mémoire sur l’attention a d’ailleurs été annoté par Antoine de la Garanderie.

J’ai suite Ă  cela validĂ© la formation de conseiller jeune qui a durĂ© 3 ans mais Ă©galement le titre de formateur de niveau 1 (pas du niveau d’expertise) permettant de transmettre aux enseignants.

Je n’accompagne réellement que depuis 2 ans. Au début, j’accompagnais ma fille, puis je l’ai fait pour d’autres personnes occasionnellement, mais les demandes se sont multipliées. J’ai travaillé de chez moi d’abord, puis j’ai fondé le cabinet avec Elisabeth Cabanié, une amie de longue date, psychologue qui s’intéresse de près à la stimulation cognitive chez les enfants autistes.

Ludosens : Avez-vous des projets d’appliquer ces méthodes dans d’autres cadres, comme à l’école, voire avec un public différent ?

Anne-Sophie Putois : C’est dĂ©jĂ  le cas ! Je travaille dĂ©jĂ  aussi avec des adultes, mĂŞme si mon activitĂ© est majoritairement tournĂ©e vers les enfants Ă  l’heure actuelle. J’aimerais Ă©normĂ©ment travailler avec des personnes en reconversion, je pense que la gestion mentale peut beaucoup les aider. Je peux Ă©galement utiliser des mĂ©thodes pour travailler et aider Ă  renforcer la mĂ©moire de personnes âgĂ©es ou atteintes de maladies.

Quant à l’appliquer dans d’autres cadres, c’est aussi déjà le cas, par exemple je réalise des formations avec les classes ULIS.

D’ailleurs, j’ai déjà proposé en classe ULIS un travail de compréhension sur les métaphores. L’enseignante ne pensait pas que c’était adapté et que personne ne comprendrait mais j’ai quand même souhaité essayer, et on ne l’a pas regretté : cela a très bien fonctionné. Tant que l’enfant n’a pas essayé d’aller le plus loin possible, il n’a pas conscience de tout ce qu’il peut faire, et il ne faut pas limiter l’enfant à une tâche. L’enseignante était agréablement surprise et est revenu sur ce qu’elle en pensait. C’était enrichissant pour nous deux, et pour les enfants bien sûr. Je serai très tentée de recommencer l’expérience !

Je fais aussi des formations auprès d’enseignants (d’écoles privées majoritairement), des stages de prérentrée scolaire chez If Bordeaux, des formations en ateliers pour des groupes de 6 enfants (des cursus plus courts et adaptables) …

Il m’arrive également de travailler avec des orthophonistes qui en expriment le besoin. Ils sont très forts pour travailler le langage, l’écriture, le décryptage, mais sont peu efficaces pour la mémorisation, d’où l’intérêt de travailler de concert.

Ludosens : Un mot pour terminer ?

Anne-Sophie Putois : L’enfant, pour ĂŞtre en contact des ĂŞtres et des choses qui l’entoure, utilise son corps pour « prendre Ă  soi » ce nouveau monde. Il le touche, le goute, le sent, le voit. Cette Ă©tape est cruciale pour son dĂ©veloppement. A partir de 6 mois l’enfant est capable de palper, de distinguer les formes d’un objet et sa dimension spatiale. Il utilise l’objet pour « prendre Ă  soi » le gobelet d’eau pour boire, une cuillère pour se nourrir. Il comprend le sens des choses par l’intermĂ©diaire de l’objet. En petite section, il posera sa pensĂ©e sur un support extĂ©rieur un dessin, une pâte Ă  modeler puis ses Ă©vocations mentales deviendront le support interne de sa pensĂ©e.

Alors oui, le jeu, les objets en tout genre sont indispensables à sa construction mentale lorsqu’un enfant ne comprend pas un concept, n’arrive pas à exprimer ses idées. Repassez par ces étapes indispensables. Passez donc par le mouvement, le mime (corps), demandez-lui d’utiliser des figurines (objets) pour clarifier sa pensée (les outils Montessori), puis demandez lui de dessiner les étapes de sa pensée. C’est par sa propre expérience corporelle qu’il accédera à des concepts plus abstraits et produira du sens.

Enfin, je dirai qu’il est important de se connaĂ®tre, d’appuyer sur ses points forts pour compenser les petits manques qu’il peut y avoir. Nos cerveaux ne sont pas conditionnĂ©s de la mĂŞme manière, et il est grand temps de rĂ©aliser que la diffĂ©rence est une force et non une faiblesse, une chance d’ĂŞtre celui qu’on doit ĂŞtre pour rĂ©aliser ses ambitions, car il y a autant de ces dernières que d’individus pour les porter. Dali Ă©tait dans la crĂ©ativitĂ©, tandis qu’un faussaire est dans l’exactitude, on n’est pas dans le mĂŞme projet…

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